Transcription

DE SHAMATHA À SHAMATHA, PANORAMA DES PRATIQUES DEMÉDITATION ENTRE ORIENT ET OCCIDENTAlbin HamardC.N.R.S. Editions « Corps »2013/1 N 11 pages 171 à 179Article disponible en ligne à l'adresse -----------------------------------Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsPowered by TCPDF (www.tcpdf.org)Pour citer cet article ----------------Albin Hamard, « De shamatha à shamatha, panorama des pratiques de méditationentre Orient et Occident », Corps 2013/1 (N 11), p. 171-179.DOI --------------------------------------Distribution électronique Cairn.info pour C.N.R.S. Editions. C.N.R.S. Editions. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsISSN 1954-1228ISBN 9782271076878

De shamatha à shamatha,panorama des pratiques de méditationentre Orient et OccidentDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsLes pratiques de méditation mises enavant en Occident, telles que s’asseoir etfocaliser son attention sur la respiration,sa posture et/ou son attitude mentale,n’existent pas exactement en tant quetelles dans leur contexte culturel d’origine (Hamard, 2012) : elles sont le résultatde processus d’adoption, d’adaptation etde transformation que peuvent accompagner un transfert de techniques entrecultures différentes (Geslin, 1999). Aussi,shamatha1 et shamatha sont des termesqui renvoient à des pratiques différentes. Dans un contexte bouddhiste, leterme sanskrit shamatha, littéralement« demeurer dans la paix », désigne unétat de conscience et les moyens mis enœuvre pour atteindre cet état. Shamathacorrespond au développement et à l’instauration dans l’esprit d’une expériencede stabilité et de tranquillité. À termec’est un état où l’esprit repose dans l’unicité de la concentration sur un seul objet(état de conscience non duel). Associéau terme bhavana (cultiver), shamathadésigne plus largement un ensemblede techniques de méditation sur lequelcorps11-001-344.indd 171s’appuient les traditions contemplativesd’Asie du Sud2. Dans ce cadre, la méditation shamatha recouvre une variétéde supports méditatifs : la respiration,la posture ; mais aussi la réalisation deprosternations et de circumambulations ;la contemplation d’antidotes aux passions qui perturbent l’esprit (la laideurpour remédier au désir) ; ou, dans uneapproche tantrique, la visualisation desoi en tant que divinité.Le vocable « méditation shamatha »renvoie quant à lui à un corpus de pratiques et d’exercices méditatifs laïcisés3.Tout comme les formes appropriées deyoga et de qigong, ces techniques méditatives peuvent être présentées/enseignéesde manière séculière, sans référence explicite/implicite à un cadre bouddhiste, hindouiste ou taoïste. Il s’agit par exempled’exercices de : « non-méditation », la personne se contente de maintenir une posture. Il n’y a pas de technique particulièreà appliquer : « juste s’asseoir » ; méditationde type concentrative, la personne dirigeson attention vers un support « externe »ou « interne » : un point fixe, un objet,Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsAlbin HAMARD17127/03/13 12:01

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionsla respiration, ses sensations, un mouvement, la marche, ou bien une imagementale de son choix, quand elle prendconscience de son « errance », elle revientau support ; méditation ouverte : la personne maintient une attention soutenuesur les sollicitations à la fois intérieures etextérieures en se focalisant sur différentsstimuli. Sous forme rationalisée et corporéisée, la « méditation shamatha » est unetechnique de conscience du corps (TeCC)(Chenault, Hamard, Hilpron, 2011) culturellement métissée. Les TeCC, et plus particulièrement les exercices de méditationen tant que situation « privilégiée d’observation » (Varela, Thompson, Rosh, 1993),instiguent chez le pratiquant une prise deconscience qui vient questionner l’appréhension de soi : elles constituent un support d’observation et d’exploration desstratégies et des habitudes inscrites dansle schéma corporel.Nonobstant, si des travaux évoquentles bienfaits de la « méditation » en tantque pratique de soin et de relaxation(Kabat-Zinn, 2009) ou la possibilité etl’intérêt d’un transfert didactique depratiques méditatives dans le champ del’éducation en tant qu’Activité Physiquede Développement Personnel (Hamard,Hilpron, Chenault, 2011), il s’agit deposer des bases, c’est-à-dire discerner,circonscrire ces techniques « traditionnelles » et « modernes » bien souventréduites à un seul et même référentiel :« la méditation ». En cela, à l’aide d’uneapproche historique et à l’appui de mesdonnées de thèse4, je souhaite dans cetarticle éclaircir certaines zones d’ombres,et obscurcir certaines idées reçues quicultivent les ambiguïtés à propos desbuts, techniques et objectifs de pratiquesissues d’un terreau ascétique, philosophique et religieux.Ascèse méditative : actes contre natureet/ou de contre-cultureDans L’Herméneutique du sujet, MichelFoucault (2001) souligne que très tôt,les philosophes antiques considèrentque l’« âme » est prisonnière des règlestranscrites chez le sujet sous forme deschèmes de pensées, elles-mêmes imposées par les contraintes sociales ou institutionnelles. Pour se libérer, l’individudoit désapprendre ce qu’il a acquis et quifait désormais intrinsèquement partiede lui. Il doit transformer ses habitudes« intellectuelles » imprimées dans sonêtre par l’éducation, l’environnement etles systèmes de valeurs imposés. Epimeleia heautou, le souci de soi, est le remèdeproposé par les tenants des écoles dephilosophies grecques. S’occuper de soiimplique une attitude générale éclairéepar des principes, une « conversion duregard vers soi » (Foucault, 1984) : ils’agit de veiller à ce qu’on pense et à cequi se passe dans la pensée. Cet examenDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsCorps n 11, 2013172corps11-001-344.indd 17227/03/13 12:01

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionsde soi, très phénoménologique, ne serestreint pas à une attention constantede soi : elle implique « un ensemble d’action, de pratiques, de techniques que l’onexerce de soi sur soi par lesquelles on semodifie » (Foucault, 2001 : 12). Parmicette « technologie de soi » figurent entreautres les pratiques de concentration del’âme, du souffle (pneuma), de retraite(anachorèse) et d’endurance, ainsi que« des techniques d’examen de conscienceet de vérification des représentations àmesure qu’elles se présentent à l’esprit »(ibid : 47).Plus à l’Est, les pratiques d’ascèseméditatives développées par les sramanas5 (aussi appelés « gymnosophiste »par les Grecs antiques) se réfèrent à différentes traditions et renvoient à desobjectifs finaux bien distincts : « moksa,nirvana ». Leurs applications conserventl’idée générale de « fixer » l’esprit et d’enacquérir un contrôle, en mettant le corpsà l’épreuve. La réalisation d’« exercicesméditatifs » corrélée à un renoncementsocial et matériel : « celui qui médite estcelui qui renonce », vise un détachementdes sensations, des émotions voire uneffacement des habitus. L’objectif est dene plus être manipulé par le « mondeextérieur » et parachever un état de plusgrande satisfaction. En Inde, cinq sièclesav. J.-C., Siddhartha Gautama figureparmi les acteurs d’une période de profonde mutation au cours de laquelleles traditions de renonçant (sramana,anachorètes) donneront aux pratiquesascétiques d’Asie du Sud un nouveau« but », connu sous le terme de libération(Tardan-Masquelier, 2002). Le Bouddha6corps11-001-344.indd 173découvre grâce à des méthodes disciplinées d’entraînement et de contrôle ducomplexe corps-esprit, qu’il est possiblede faire l’expérience d’une libérationen soi et par soi. Jusqu’à cette périodecharnière (et encore aujourd’hui), l’application d’une ascèse méditative étaitconditionnée par le désir d’atteindre unétat d’absorption intense (synonyme deréalisation spirituelle), de renaître auparadis et/ou d’acquérir des pouvoirsextra-ordinaires (Samuel, 2008).Les tapas (austérités) telles que lejeûne, l’immobilité, et le silence auxquelsse soumettent les anachorètes, peuventêtre extrêmes et proches de la mortification. L’objectif est d’affouiller le corps deses facteurs négatifs de sorte que l’espritpuisse se focaliser sur des questionsd’« ordre spirituel » et atteindre des étatsélevés d’absorption méditative (samadhi).Les formes primitives de méditationgénérées avec/par les tapas pouvaientimpliquer des exercices de contrôle et derétention du souffle cherchant à mener« l’esprit » à une forme d’immobilisation,mais pas d’immobilisme. Certaines deces pratiques ressemblaient plus à unemanière de mourir que l’atteinte d’unétat d’équanimité. Ultérieurement, lestapas, seront associées aux pratiques deyoga et envisagées (selon les cas) commela capacité à supporter – dans le calmeintérieur – les extrêmes de la faim, dela soif, de la chaleur, du froid et/ou lemaintien immobile d’une posture. Plutôtque d’affaiblir le corps et de l’émacier, lestapas sont pensées comme des moyensde perfectionner le corps (beauté, force etgrâce) et discipliner l’esprit. Le BouddhaDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsDe shamatha à shamatha, panorama des pratiques de méditation entre Orient et Occident17327/03/13 12:01

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionshistorique ne fit pas exception, et ce n’estqu’après une longue période de mortification qu’il prit conscience que l’ascèseextrême mène à une impasse et que lapaix et le « confort » du corps sont enrelation directe avec l’« aisance » et la stabilité de l’esprit. Suite à cette réalisation,il poursuit l’application d’un ensemblede techniques de contrôle du souffle(pranayama), de maintien de postures(asana), et d’observation de la respiration(anapanasati) apprises préalablementauprès de maîtres contemplatifs. Cestechniques destinées à cultiver des étatsde conscience de plus en plus subtils(dhyana) seraient pré-bouddhistes, etassimilées a posteriori aux formes racinesdes pratiques méditatives dites « bhavanashamatha » communes aux grandes traditions contemplatives d’Asie du Sud.À ce titre, les techniques dites bhavanashamatha se présentent sous différentesdéclinaisons dans les systèmes de yogaindien et de méditation bouddhique.En fin de compte, pour le Bouddha,l’achèvement d’un état profond d’absorption ne serait pas un but en soi, maisplutôt un niveau de conscience qui peutêtre utilisé pour examiner les causesde la souffrance, la nature de l’espritet de la réalité. À sa suite, les premiersbouddhistes ajouteront aux techniquesde méditation qui préexistaient chez lesordres de renonçant, une nouvelle systématisation des pratiques de dhyanadites « insight practices ». Varela et al.(1993) les décrivent comme des techniques spécifiques utilisées au cours dela méditation pour examiner commentl’esprit calmé acquiert une compréhension de sa nature. Elles seraient propresà la voie bouddhiste et ont pour objectifl’intégration dans l’expérience d’uneconnaissance d’ordre a priori intellectuel(théorique). Il s’agit, par leur application,d’imprimer en soi la vue de l’impermanence, de l’interdépendance, et du nonsoi.7La méditation bouddhique :TeCC et technique de non-soi ?Pour Philippe Cornu (2006), la voieméditative bouddhique est caractérisée par la méditation analytique surles phénomènes (pali : vipassana ; sanskrit : vypashyana) et la réalisation directe(dans l’expérience) de la vacuité. Ensubstance, elle implique l’applicationunifiée de deux « techniques » : shamatha(concentrative) et vypashyana (analy-tique). Shamatha permet de calmer, stabiliser l’esprit : l’objectif est d’en faireun outil malléable pour qu’il puisses’observer et s’analyser lui-même àl’aide de vypashyana. Dans les écoles duBouddhisme du Sud, la présence et lafixation de l’attention (sati) appliquéegraduellement aux quatre objets (la respiration et le corps, les sentiments/sen-Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsCorps n 11, 2013174corps11-001-344.indd 17427/03/13 12:01

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionssations, les « mouvements de l’esprit » etles « objets de l’esprit »), sert de base à lapratique combinée de samatha-vipassana.Elle permet de créer les conditions d’unecompréhension profonde et intuitive desphénomènes au regard des trois sceauxexprimés/expérimentés par le Bouddha :l’impermanence, la souffrance, et l’absence de soi. Les trois premières étapesmènent au calme et à la stabilité mentale(samatha), la quatrième présente plus spécifiquement l’aspect vipassana : il s’agitde l’observation analytique des cinqagrégats8 d’attachements présents danstoutes perceptions d’une part et d’autrepart, de l’exposé du non-soi. Son application déboucherait sur la connaissance« incarnée » des trois sceaux. À terme, lebut est de maintenir cette connaissancedans toutes les circonstances de la vie,c'est-à-dire maintenir la vision directe,non discursive, non conceptuelle de l’essence de toutes choses.Dans l’approche indo-tibétaine, lasagesse discriminante (prajna) naît duperfectionnement de l’attention et de laconcentration : il faut dompter l’esprit9pour qu’il soit stable et surveiller les étatsmentaux qui le traversent (shamatha).Quand l’attention est pratiquée continuellement jusqu’à ce que l’esprit soit paisible, il s’agit d’appliquer les techniquesliées à la vision pénétrante (vypashyana)qui permettent, par l’analyse puis parl’expérience, d’intégrer dans son vécucorps11-001-344.indd 175propre l’affirmation que la nature ultimede soi et des phénomènes est dépourvued’existence propre. Il s’agirait de voir etde vivre les choses telles qu’elles sont(au regard de la perspective bouddhiste)et non telles qu’elles sont conçues (lestendances habituelles de l’esprit et lesréflexes égoïstes qui séparent sujet etobjet, soi et autrui). Ainsi, la « méditation bouddhique » nécessite l’étude, laréflexion et la compréhension des textesportant sur l’analyse de la réalité et de laconscience déployée. Par exemple, la tradition indo-tibétaine accorde une grandeimportance à l’étude de la philosophie :les moines peuvent parfois consacrer detrès nombreuses années à étudier auprèsd’un enseignant ou dans une universitébouddhique (shedra) avant d’être introduit plus sérieusement aux pratiquesde méditation. Sans la compréhensionde la « nature de l’esprit » et de l’ignorance, la méditation serait très difficileet surtout infructueuse. Pour les maîtrestibétains, études et pratiques méditativessont comme les deux ailes d’un avion.Enfin, au-delà des aspects techniques etconceptuels, il est nécessaire de préciserque les pratiques de méditation ne sontpas entendues comme des pratiquespour tous dans leur contexte cultureld’origine : leur accessibilité nécessite(en fonction des traditions) : l’ordinationmonastique et/ou surtout la transmission directe d’un maître.Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsDe shamatha à shamatha, panorama des pratiques de méditation entre Orient et Occident17527/03/13 12:01

Corps n 11, 2013Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsMalgré tout, la culture d’une attentionstabilisée (shamatha), est la fondation surlaquelle se basent les pratiques bouddhiques. En Inde même, les protagonistes des différents véhicules, courantset écoles bouddhistes (érudit et yogi)ont façonné/élaboré au gré des évolutions conceptuelles, philosophiques,temporelles (mais aussi de révélations)une véritable « technologie contemplative ». Ainsi, si shamatha peut être a priori« développée » sur la respiration pours’orienter graduellement vers « les objetsde l’esprit » dans l’approche theravada.Les écoles du mahayana10 favorisent larécitation de mantra, et surtout la génération de visualisations (syllabes germes,Bouddha, divinités) comme support deméditation afin de cultiver l’attentionmais aussi « entraîner/familiariser/éduquer l’esprit » aux qualités d’amour et decompassion : « Quand je veux méditer [ ]je vais marcher autour du temple pour fairece que l’on appelle une méditation circulaire[ ] je prends mon rosaire et récite différentstypes de mantras comme celui de Tchenrézi :« Om Mani Padme Hung » [ ] Je formulebeaucoup de souhaits dans mon cœur commela réalisation de ce que veulent les autres. [ ]Je récite beaucoup de mantras en l’honneurde Sa Sainteté le Dalaï Lama. » (EntretienTashi, Dharamsala, Inde, 11 mars 2004)« Lorsque je médite, je commence par ajusterma posture, puis en guise d’exercice préliminaire je focalise mon attention sur la respiration : « 1 : inspiration, 2 : expiration, 3 :inspiration, , jusqu’à 45. [ ] Une fois quel’esprit est stable, je médite sur la compassion. Pour cela, le maître de notre lignée nousa demandé de visualiser notre mère puis aufur à mesure on ajoute des membres de notrefamille en essayant de l’entourer de compassion » (Entretien Rizgin, Monastère deRumtek, Inde, 13/03/05).Dans le contexte du Vajrayana(désigné comme le bouddhisme tantrique) l’accessibilité aux techniquesméditatives nécessite l’initiation et lesuivi d’un gourou (maître). Les pratiquesengagent le corps, la parole et l’esprit etentraînent de subtils changements dansles éléments physiques dont est composéle pratiquant : « Ce sont généralement despratiques où il y a un texte à réciter, où ily a des visualisations et des mudra (gestesspécifiques) qui sont associées à ce texte[ ] Quand on fait la récitation de mantracomme dans Tchenrézi, c’est une forme deshamatha [ ] on a l’esprit qui est non pasposé sur la respiration, mais sur la visualisation [ ] c’est un shamatha un peu plus élaboré que le shamatha de base où on fait rienà part regarder les pensées de l’esprit. [ ]on agit au niveau du corps, de la parole et del’esprit. » (Entretien Lama Jean-François,Orléans, 10/12/08) Le point clé des pratiques de méditations tantriques est l’interaction (jusqu’à l’identification) avecles différentes formes de déités visualisées, qui à un niveau élevé de pratiquepeuvent être combinées à la maîtrise etla manipulation de l’énergie subtile cir-Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsLe développement de shamatha : appropriations,innovations et transferts176corps11-001-344.indd 17627/03/13 12:01

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionsculant à l’intérieur du corps. Selon laperspective tantrique (commune à certaines techniques yogiques hindoues),le corps est composé de centres (chakra)et de canaux subtils (nadi) dans lesquelsévolue un flux d’énergie (prana).Parallèlement, le transfert de ces pratiques dans des cultures historiquementnon bouddhistes – notamment en Chine,en Thaïlande et au Tibet – a égalementgénéré un spectre de techniques extrêmement diversifié (Wallace, 2006). Lorsde leur diffusion à l’extérieur de l’Inde,les enseignements, les institutions et lestechniques de méditation se sont acclimatés à de nouveaux environnementspolitiques, culturels et religieux, ainsiqu’à des cultures corporelles variées(Obadia, 2007). Pour être adoptés, leursenseignements ont dû être adaptés, etces modifications propres à leur appropriation ont contribué à l’élaborationde techniques singulières. Par exemple,dans les écoles chinoise chan et japonaise zen, la pratique de méditationn’est pas envisagée comme l’exercicegraduel de shamatha et vipashyana danslesquelles les pratiquants se concentrentsur un contenu mental (Cornu, 2006).L’accent est mis sur le strict maintiend’une posture assise zuochan (ou zazenen japonais) considéré comme la voie etl’enseignement. Même si corps et espritsont envisagés dans une optique nondualiste dans les approches theravada etmahayana, les pratiques de méditation(à l’exception des écoles chan et zen)constituent au regard des textes plus un« travail de l’esprit sur l’esprit » qu’unepratique d’exploration et d’observation du complexe corps-esprit souventretrouvée dans les approches modernes.D’ailleurs si le corps est synonyme de la« précieuse existence humaine », il n’enest pas moins un objet de renoncement,de dégoût et de souffrance, car le sujetà bien trop d’attachement. En cela, lecorps n’est pas un objet d’attention particulier et, quand il s’agit de le contempler, le bhikkhu (moine) se focalise surdes aspects repoussants pour mieux s’endétacher.La méditation shamatha : une TeCC rationnelleet scientifique ?Raphael Liogier (2004) montre que lespratiques méditatives ont subi un processus d’occidentalisation en Orient qui,combiné à la diffusion de ces techniquesen Occident, a contribué à sortir les pratiques de leur approche monastiqueset religieuses pour les inscrire dans uncorps11-001-344.indd 177contexte plus laïque et rationnel. Fortd’une labellisation académique, d’uneefficacité scientifiquement prouvéedepuis près d’un quart de siècle (Grison,2012), et surtout d’un processus d’appropriation avancé, il semblerait que les pratiques de méditation ne soient plus toutDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsDe shamatha à shamatha, panorama des pratiques de méditation entre Orient et Occident17727/03/13 12:01

Corps n 11, 2013matha a été en quelque sorte « sportifiée »pour devenir shamatha, gageons que lechamp des A.P.S devient de plus en plusméditatif.Notes1. Comme nous le verrons tout au long del’article, shamatha est une notion polysémique quirenvoie à une pratique et un état.2. L’Asie du Sud recouvre la zone géographiquesituée entre l’Himalaya et l’océan indien.3. Il peut s’agir entre autre d’exercices liés à laméditation de Pleine conscience (Kabbat-Zinn,2009) ou à la méditation vipassana telle qu’elle estprésentée par S. N. Goenka.4. L’appropriation occidentale des pratiquesde méditation bouddhistes tibétaines : approched’anthropologie cognitive, thèse co-dirigée par JeanPaul Resweber et Benoît Grison.5. Le terme sramana « ceux qui s’efforcent »,c’est-à-dire ceux qui se vouent à une vie d’ascèseet de méditation est utilisé de manière génériquepour désigner les membres d’ordres ascétiquesd’Asie du Sud (Samuel, 2008).6. Le terme bouddha signifie « éveillé », Siddhartha Gautama est considéré comme le Bouddha historique.7. L’analyse bouddhique présente le « soi »comme une agglomération de cinq agrégats.Pris ensemble, ils forment le complexe psychophysique qui compose une personne et chaquemoment de son expérience. Les agrégats sont unispar les liens d’interdépendance, pris séparémentils n’ont aucune existence.8. Agrégats (sk : skandha) : cinq ensembleséphémères constituant l’individu et que chacunconsidère comme son « soi » réel et permanent (lesformes, les sensations, les perceptions, les facteursconditionnant et la conscience).9. Selon la perspective bouddhiste, l’esprit nondressé déverse de manière compulsive un couranttoxique de pensées vagabondes.10. Le mahayana se caractérise par le développement de l’esprit d’éveil (bodhicitta), c’est-àdire le désir d’atteindre l’éveil pour le bien de tousles êtres et l’affirmation que la nature ultime desphénomènes est dépourvue d’existence propre.Pour intégrer dans le vécu cette double notion,les contemplatifs bouddhistes ont mis au pointDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. Editionsà fait « obscures » et exotiques. L’évolution de pratiques ascétiques visant àréduire le corps génère paradoxalementdes techniques permettant de mieux enexplorer les sensations et se « relaxer ».Pour de nombreux pratiquants occidentaux, la méditation « shamatha »est avant tout un moyen de prendre dutemps pour soi, de cultiver une attention à soi et de mieux se connaître.L’appropriation occidentale à un niveau« global » met en avant une dimensioncorporelle et psychologique (à défautd’une réelle approche philosophique) :méditer pour se sentir mieux et évacuerle stress afin de mieux habiter son corpset vivre l’instant présent. A contrario, lesefforts déployés pour présenter la méditation de manière très rationalisée ou« psychologique » contribuent parfois àce que certains pratiquants s’approprientles techniques méditatives comme unmédicament de l’esprit ou, à l’opposé,comme une « gymnastique de l’esprit »cherchant à l’affouiller des pensées. Dansce cas, à défaut de générer une forme desouplesse, de fluidité et de « liberté », lapratique peut créer une puissante autocontrainte.En outre, la « méditation » parfoisqualifiée d’« entraînement de l’esprit »,prend la forme d’« un entraînementvisant à mieux synchroniser le corps etl’esprit » (Varela & al, 1993). Cette perspective laisse présager de nouvelles« hybridations », et on peut imaginerpar exemple que les Activités Physiqueset Sportives soient appropriées commedes supports de méditation shamatha(et retour). Ainsi, si la méditation sha-178corps11-001-344.indd 17827/03/13 12:01

des systèmes de pratique qui encourageraientà attaquer le « système immunitaire de l’égo » etéprouver un sentiment de compassion. Ils affirment que sans ce type de pratique, une traditiontelle que le bouddhisme et la méditation mèneraitsimplement à une quête privée de paix.BibliographieDocument téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsChenault M., Hamard A. & Hilpron M.2011, « Introduction aux Techniques deConscience du Corps », dans Transverse, 1 :31-46.Cornu P. 2006, Dictionnaire encyclopédique duBouddhisme, Paris, Seuil.Foucault M. 2001, L’Herméneutique du sujet.Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris,Gallimard Le Seuil.Foucault M. 1984, Histoire de la sexualité. Lesouci de soi, Paris, Gallimard.Geslin P. 1999, L’Apprentissage des mondes. Uneanthropologie appliquée aux transferts de technologies, Paris, Éditions de la Maison desSciences de l’Homme.Grison B. 2012, « Du bouddhisme aux neurosciences comportementales et retour :l’appropriation de la méditation tibétainepar la science occidentale », dans Grison B.(dir.), Bien-être ou être bien ? Les techniques deconscience du corps entre Orient et Occident,Paris, L’Harmattan, pp.75-92.corps11-001-344.indd 179Hamard A. 2012, « L’Appropriation occidentale des pratiques de méditation bouddhistes tibétaines. » dans Grison, B. (dir.)Bien-être ou être bien ? Les techniques deconscience du corps entre Orient et Occident,Paris, L’Harmattan, pp.93-113.Hamard A., Hilpron M. & Chenault M. 2011,« Techniques de Conscience du corps :Expérimentation pédagogique à l’Université d’Orléans » dans Transverse, 1 : 57-68.Kabat-Zinn J. 2009, L’Éveil des sens, Paris, LesArènes.Liogier R. 2004, Le Bouddhisme mondialisé. Uneperspective sociologique sur la globalisation dureligieux, Paris, Ellipses.Obadia L. 2007, Le Bouddhisme en Occident,Paris, La Découverte.Samuel G. 2008, The Origins of Yoga and Tantra :Indic Religions to the Thirteenth Century,Cambridge, Cambridge University Press.Tardan-Masquelier Y. 2002, « La Réinvention du yoga par l’Occident » dans Études1/2002 (Tome 396) : 39-50.Varela F., Thompson E. & Rosh E. 1993, L’Inscription corporelle de l’esprit. Sciences cognitives et expérience humaine, Paris, Seuil.Wallace B. A. 2006, The Attention Revolution.Unlocking the Power of the Focused Mind,Boston, Wisdom Publications.Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 91.164.255.134 - 04/08/2018 08h59. C.N.R.S. EditionsDe shamatha à shamatha, panorama des pratiques de méditation entre Orient et Occident27/03/13 12:01

réisée, la « méditation shamatha » est une technique de conscience du corps (TeCC) (Chenault, Hamard, Hilpron, 2011) cultu-rellement métissée. Les TeCC, et plus par-ticulièrement les exercices de méditation en tant que situation « privilégiée d'obser-vation » (Varela, Thompson, Rosh, 1993), instiguent chez le pratiquant une prise de